Session de l’École des plantes à Corbion (Ardennes belges), juin 2024.
Corbion est un petit village situé en Région wallonne dans le sud de la province de Luxembourg, accolé à la frontière française, perché à 400 m d’altitude, surplombant divers méandres de la Basse Semois (Semoy pour les Français) et faisant désormais partie de la célèbre ville de Bouillon depuis la fusion des communes en 1977. Il en est distant de 7 km.

Les restes de la Ferme aux couleuvres en restauration. Photo JJH
Ce village est connu depuis le IXème siècle ayant donné son nom à une famille de seigneurs dont le plus connu est Sébastien de Corbion, dit Sébastien « Pistolet » inventeur de l’arme qui porte ce nom. En fait, au départ, il s’agissait d’un fusil, dont le canon et la crosse avaient été sciés, pouvant de la sorte se manier d’une seule main et qui permit à ce capitaine de cavalerie de se distinguer à la bataille de Marignan, en 1515.
Un autre illustre personnage, le poète Paul Verlaine, vint séjourner quelque temps dans ce village reculé des Ardennes. Les vestiges de sa maison, dite « des Couleuvres », au lieu-dit “Le Bojaban”, à deux pas du ruisseau Joly qui délimite la frontière entre la Belgique et la France toute proche, sont encore visibles, mais il ne reste aujourd’hui que les fondations en reconstruction. Sorti de la prison de Mons le 16 janvier 1875 et indésirable sur le sol belge, grâce au curé du lieu, l’abbé Dewez, qui est une vieille connaissance, Verlaine se réfugie dans les bois de Corbion car la ferme aux couleuvres est à moins de 10 mètres du territoire français. Il y aurait vécu avec une femme et deux enfants, suscitant l’indignation des habitants.
Sur le plan géologique, le plateau ardennais, appartient au Massif schisteux rhénan à allure d’anticlinorium et est constitué principalement de quartzophyllades et de quartzites datant de plus d’un demi-milliard d’années.
La partie ardennaise du bassin de la Semois, sur laquelle nous avons herborisé, appartient au socle dévonien inférieur formé de roches sédimentaires par les premiers dépôts marins vieux d’environ 400 millions d’années. Ces roches fortement plissées sont constituées de schistes et phyllades au feuilletage régulier ayant permis l’extraction d’ardoises, en fosses, d’Herbeumont à Alle.
Les nombreux méandres encaissés de la Basse Semois présentent un grand intérêt botanique avec ses rives concaves abruptes et boisées et ses rives convexes en pentes douces occupées par des prairies pâturées, des prés de fauche et de rares terres de culture dont le tabac pour la pipe était autrefois un des fleurons locaux, aujourd’hui remplacé par l’enrésinement de la vallée en épicéas et la culture des sapins de Noël (Épicéa et Sapin de Nordmann).

Passage à gué du ruisseau Joly en face de la Ferme aux couleuvres où l’eau bavarde parmi les galets faisant mémoire de ce secret. Photo JJH

Hôtel des Ardennes
C’est dans l’Hôtel des Ardennes, le dimanche 23 juin au soir, que le staff de l’École des plantes prend ses quartiers pour le temps de la session et de sa préparation en attendant l’arrivée des participants. Hélas, nous apprenons que Bruno et Michèle de Foucault ne seront pas présents. Au moment de leur départ, lors du chargement de leur voiture, une main baladeuse s’est emparée d’un sac contenant l’ordinateur de Bruno. Ce n’est qu’en faisant étape à Lyon, qu’ils se sont rendus compte du vol. Ils ont alors fait demi-tour pour espérer retrouver leur bien (hélas, en vain) et aller porter plainte.
Dès le lundi matin, les choses sérieuses commencent. Il faut trouver des lieux permettant l’accès facile et la découverte de la flore spécifique de la région. Les circuits de randonnées ne manquent pas mais certains exigent des conditions physiques évidentes que les personnes plus âgées n’ont pas forcément. Tout le monde n’a pas l’agilité du mouflon qui hante les escarpements rocheux de la région. Par ailleurs, il y a peu d’endroit où l’on peut stationner une vingtaine de voitures, ce qui contraint à choisir des lieux assez éloignés.
Au cours des trois jours de préparation, Joëlle et Jean-Charles Décaudin récoltent les plantes pour les commentaires de phytothérapie.
Le soir, Mr Petit et Mme Van Haluwyn préparent la liste des plantes observées au cours de la journée, liste qui sera remise aux participants à leur arrivée.
C’est le mercredi 26 au soir, dans le jardin de l’hôtel, que les participants sont accueillis par une allocution de bienvenue de la part de la présidente de l’École des Plantes, Madame Chantal Van Haluwyn, suivie du verre de l’amitié avec une boisson locale, le Maitrank (vin de mai à l’Aspérule odorante – Gallium odoratum L. anciennement Asperula odorata L. – Rubiaceae).

Le staff et quelques amis lors du premier jour de prospection. Photo Fanny Puppinck

Méandre du « Tombeau du Géant » Photo JJH
Le jeudi matin, les participants sont répartis en deux groupes dirigés respectivement par Daniel Petit et Françoise Duhamel assistée de Frédéric Folens (jardinier de l’EdP) et de moi-même (JJH). Nous restons sur les hauteurs de la commune de Corbion et allons à la découverte d’un circuit dans les bois avec une grande diversité de plantes régionales et typiques des ourlets forestiers sur sol acide avec, entre autres, l’Angélique des bois, le Compagnon rouge, les magnifiques Digitales en fleurs, l’Eupatoire chanvrine, le Lycope d’Europe, le Mélampyre des prés, différents Millepertuis, Rumex et Stellaires, le Sureau à grappes, un arbuste montagnard aux fruits rouges… À mi-parcours, nous pouvons admirer, le méandre qui entoure le lieu-dit « Le Tombeau du Géant ».
Pour ce qui concerne la phytothérapie, Madame Décaudin nous présente les plantes identifiées sur le terrain, par famille mais également en les reliant à des molécules chimiques actives. C’est après le casse-croûte de midi, qu’elle nous propose un inventaire des plantes à tanin aux propriétés veinotoniques, anti-diarrhéiques, antalgiques dans les affections de la cavité buccale, que l’on retrouve principalement dans les rosacées : Aigremoine, Alchémille, Benoîte, Fraisier, Rosier, Roncier, Sanguisorbe, Tormentille ; mais également chez la Bistorte, la Callune, la Circée de Paris, l’Épilobe, le Géranium Herbe à Robert, la Myrtille, le Noisetier, le Plantain, la Salicaire.
Un second circuit, sous les mélèzes, nous conduit par un lieu escarpé vers un filet d’eau ou l’on a pu admirer la Parisette à quatre feuilles et la Véronique des ruisseaux.
Il va sans dire que poacées, juncacées, cypéracées et fougères diverses sont nombreuses et que c’est l’occasion de les distinguer et d’en découvrir les caractéristiques.

Sous le frais ombrage, voici le moment d’immortaliser le paysage, pour garder un souvenir de ce voyage. Photos JJH
Le vendredi, nous prenons la route pour Herbeumont, où nous avons rendez-vous sur la place du village. Nous nous regroupons dans quelques voitures et après avoir contourné les ruines du château-fort datant du XIIIe siècle et situé sur une colline escarpée au sud-ouest du village, nous empruntons la promenade balisée dite « La Châtelaine » qui longe la Semois autour du « Tombeau du Chevalier ».
Ainsi, l’avant midi, nous découvrons la végétation ripisylve des bords de la Semois. Outre les arbres habituels de nos régions (Aulne, Charme, Chêne, Frêne, Hêtre, Noisetier) qui bordent la rivière ; les zones inondables lors des crues, nous offrent une végétation richement diversifiée : Acore, Baldingère, Bistorte, Grande Glycérie, Iris jaune, Reine-des-prés, Salicaire, Scrofulaire noueuse, Valériane… et moulte Ptéridophytes diverses.
Malheureusement, nous n’avons pas pu profiter du spectacle prodigieux de la floraison de la Renoncule flottante qui n’avait pas encore commencé cette année.

Une curiosité qui fait l’admiration de tous : cette Digitale pourpre « albinos ». À remarquer la floraison acropète ou basifuge, autrement dit qui part de la base de l’inflorescence vers le sommet. Photo JJH

La Valériane en bordure de la Semois. Photo JJH
Le midi, chacun reprend son véhicule pour se rendre sur le site des Ardoisières, au Domaine de la Morepire, à Bertrix où nous déjeunons. C’est là que vous voyons pour la seule fois quelques aspérules à l’une des entrées de la mine (on la trouve en abondance dans les hêtraies en Gaume où elle forme de vastes tapis odorants).
Ensuite Madame Décaudin nous expose les plantes riches en coumarine : Angélique, Aspérule, Mélilot officinal, Piloselle avec cette mise en garde sur les risques hépatotoxiques ; et celles à dérivés de l’acide salicylique : Reine des près, Saules, Solidage verge d’or…
Elle aborde également les plantes à lactones sesquiterpéniques des astéracées : Achillée, Bardane, Pissenlit… et attire notre attention sur l’hépatotoxicité des plantes à alcaloïdes pyrrolizidiniques : Eupatoire chanvrine, Pétasite, Séneçons commun et jacobée, Tussilage et surtout chez les boraginacées : Bourrache, Consoude.
Nous partons ensuite le long de l’ancienne voie de chemin de fer reliant Bertrix à Munoz, sur l’emplacement où se faisait autrefois le chargement des ardoises. Nous y trouvons, vers le Pont de la Blanche, quelques espèces xérophytes : Alchémille, Arabette des sables, Crételle, Euphraise officinale, Mélilot officinal, Molène noire, Œillet velu, Origan, Vipérine… et dans un coin plus humide : Aigremoine, Helléborine, Lysimaque ponctuée, Œillet deltoïde… puis dans une mare le Poivre d’eau (Polygonum hydropiper L.) et le Pourpier d’eau (Lythrum portula L.).

Molène noire – Verbascum nigrum L. – Scrofulariaceae. On distingue bien les 5 étamines à filets couverts de poils et anthères terminales (3 supérieures courtes et 2 inférieures longues). Photo Daniel Petit
Pour le samedi 29, le point de rendez-vous est fixé au parking de la « Tour du millénaire » sur le plateau de la Croix Scaille (503m). Notre but est de parcourir une partie du circuit balisé 41 faisant le tour de la Fange de l’abîme. Mais nous devons y renoncer car un important groupe de touristes occupe le lieu proche de la Ferme Jacob où nous devions parquer nos véhicules. Nous décidons donc de descendre plus bas pour rejoindre au plus près la tourbière. Finalement nous ne regretterons rien car ce que nous y découvrons est pratiquement identique à ce que nous avions trouvés trois jours au paravent : Alchémille, Alliaire, Angélique, Callune, Canche flexueuse, Digitale pourpre, Lysimaques commune et nummulaire, Orchis tacheté… avant d’atteindre la tournière clôturée mais que l’on peut visiter sur caillebotis où l’on a pu admirer plusieurs Osmondes royales imposantes. Nous avons cherché en vain le Piment royal (Myrica gale L. – Myricaceae) pourtant présent sur le site.

L’Osmonde royale attire bien des regards et les commentaires de Monsieur Petit sont écoutés avec attention. Photo JJH
De retour à la Tour du millénaire, nous avons pris notre pique-nique avant d’écouter Madame Décaudin nous entretenir sur les plantes à iridoïdes à l’action anti-inflammatoire : Euphraise officinale, Frêne, Gratteron, Lamier blanc, Scrofulaire noueuse, Valériane, Véronique officinale…
On se quitte après maints remerciements et embrassades en se donnant rendez-vous l’an prochain pour une session dans la Baie de Somme
En ce qui concerne les plantes à glucosinolates que l’on retrouve habituellement chez la plupart des brassicacées, seule l’alliaire a été observée.
Quant aux polysaccharides des malvacées, leurs propriétés mucilagineuse et adoucissante, se retrouvent dans la guimauve, les mauves et les tilleuls.
Après cela, quelques-uns sont montés au sommet de la Tour du millénaire, spectaculaire belvédère de 60 m de haut en forme de sablier, d’où l’on peut voir la centrale nucléaire de Chooz en bord de Meuse française.

La tour du millénaire avant l’envahissement du parking.
Votre serviteur rapporteur, sur le Pont de la Blanche, indiquant le Mélilot officinal et la Vipérine. Photo prise par Mme Chantal Van Haluwyn.
Jean-Joseph Hugé.
