Compte-rendu de la session 2022 -Cotentin
Journée du 27 juin
Départ de l’hôtel à 9 heures par la route de la Corniche en direction du phare de Carteret sous la direction botanique de Bruno, Daniel et Jean-Joseph. Dès la sortie de l’hôtel, une friche offre un cortège de plantes déjà conséquent qui s’enrichit tout le long de notre marche. Impossible de rester indifférents aux belles demeures et aux jardins luxuriants vivement colorés par le bleu intense des agapanthes. On ne s’attend pas à trouver quelques touches d’exotisme avec la vipérine géante des Canaries (Echium pininana) ou les draperies d’une petite polygonacée d’origine australe du genre Muehlenbeckia. Un petit sentier sur la gauche de notre route nous plonge dans une ambiance boisée où se développent petit-houx et digitale puis c’est l’arrivée sur le cap, balayé par les vents et que domine le phare de Carteret. Les falaises du cap sont couvertes d’une lande océanique caractéristique où domine l’ajonc commun. Un panneau d’information nous renseigne que certains endroits sont recouverts d’une pelouse rase composée d’espèces originales. Parmi ces plantes annuelles, cinq sont considérées comme rarissimes, trente comme très rares en Normandie. Nous n’avons pas trouvé la romulée à petites fleurs (Romulea columnae) mentionnée sur ce panneau car cette petite iridacée fleurit en février-mars. Près de 90 taxons ont été recensés sur cette matinée !
Retour à l’hôtel pour pique-niquer. Les botanistes s’affairent aux déterminations et à la rédaction de la liste de plantes qui sera distribuée aux participants.
Une petite visite rapide au château de Bricquebec pour certains. A 16 heures, Joëlle réunit Daniel, Bruno et Chantal pour présenter la bande dessinée réalisée par Cécile Décaudin en hommage à André Caudron et solliciter Bruno et Daniel pour la rédaction de la préface ; on profite de la présence de Bruno pour discuter du lieu de la session 2023. Bruno propose les Dombes sous réserve qu’il y ait assez de diversité de milieux pour 3 jours de session.
Journée du 28 juin
9 heures, départ pour la forêt domaniale de St Sauveur le Vicomte, forêt qui constitue l’un des seuls massifs forestiers de la Manche ouvert au public. Son intérêt est enrichi par la présence d’un arboretum et d’arbres remarquables par leur forme et leur âge, ainsi nous avons observé un hêtre vieux de 190 ans, d’une hauteur de 24 m et d’une circonférence de 4 m. Nous empruntons le chemin forestier de « l’ancien chalet » et nous avons l’impression de rentrer dans une cathédrale végétale. Le long du chemin, l’abondance de la circée (Circea lutetiana) nous renvoie immédiatement en pensée avec André Caudron et nous évoquons ainsi quelques souvenirs avec Murielle Delattre. Bruno nous montre la fougère des montagnes (Oreopteris limbosperma) qui accompagne Blechnum spicant. Au bout du chemin, une mare est presque entièrement recouverte de Nymphaea alba. On observe le millepertuis des marais (Hypericum elodes), le poivre d’eau (Persicaria hydropiper), la salicaire (Lythrum salicaria). Le retour se fait par le « chemin du milieu » en passant par l’arboretum.
Après le pique-nique (dégustation du saumon gravlax de Michèle Petit arrosé par le vin de sureau confectionné par Daniel), nous nous dirigeons vers le mont Besneville. Entre bruyères et ajoncs, le mont de Besneville culmine à 116m d’altitude ; il offre une vue exceptionnelle à 360° sur le bocage, la côte et les îles anglo-normandes. Ce mont est surmonté de trois anciens moulins à vent. L’un a été aménagé en chapelle après la seconde guerre mondiale, un autre possède une table d’orientation. La végétation est dominée par la callune (Calluna vulgaris), la bruyère cendrée (Erica cinerea), la bruyère à quatre angles (Erica tetralix) et l’ajonc d’Europe (Ulex europaeus). Les botanistes observent la présence de l’ajonc de Le Gall (Ulex gallii) encore en fleurs à cette période contrairement à l’ajonc d’Europe. Dans la tour d’observation, Bruno nous montre une petite urticacée corse, l’helxine de Corse (Soleirolia soleirolii). La première description de cette plante (sous le nom Helxine soleirolii) a été faite en 1825 par le botaniste français Esprit Requien qui a par ce nom voulu rendre hommage à Henri-Augustin Soleirol, le botaniste qui en avait rapporté un échantillon (de Cervione en Corse). Comme le nom Helxine avait déjà été attribué par Linné à une autre espèce très différente et d’une toute autre famille, un nouveau nom de genre lui a été donné : Soleirolia (par le botaniste français Charles Gaudichaud-Beaupré, en 1830) toujours en l’honneur de Soleirol. Le nom complet de Soleirolia soleirolii a finalement été formé par James Edgar Dandy en 1965.
La journée de prospections se termine par une visite des prés salés de Portbail. Tout le cortège végétal typique de ce milieu est présent : scirpe marine, obione, soude maritime, spartine d’Angleterre, aster maritime, lilas de mer (qui sera interdit à la cueillette lors de la venue avec le groupe), betterave maritime, etc.
Retour à l’hôtel. Les botanistes vaquent à leurs occupations tandis que Joëlle, Bernadette et Chantal travaillent sur le programme des enseignements 2022-2023.
Journée du 29 juin
Direction vers le massif dunaire d’Hatainville (surface protégée de 544.39 hectares)
Voici ce qu’indique le Conservatoire du Littoral à propos de ce massif dunaire si grandiose : « situées au sud du cap de la Hague, les dunes d’Hatainville sont miraculeusement préservées de l’urbanisation. Elles s’étendent sur 5 km de large et s’enfoncent sur plus de 1,5 km. Les sables s’appuient sur une falaise fossile de grès et de schistes. Cette formation de « dunes perchées », dont certaines culminent à 80 m, est l’une des plus spectaculaires d’Europe. Elle est née, notamment, de la remontée progressive du niveau marin après la dernière glaciation, voici 12 000 ans. Dunes vives (dont les formes ne sont pas stabilisées faute de végétation) et dunes blanches (presque sans couverture végétale), dunes grises (couvertes de végétation basse) et landes se succèdent ». Près de 50 espèces végétales différentes sont recensées sur la matinée de prospection. On retiendra le saule des dunes (Salix repens subsp. r. var. dunensis), le panicaut des dunes (Eryngium maritimum), la chlore perfoliée (Blackstonia perfoliata), le gaillet blanc des dunes (Galium album var. dunense), l’oyat (Ammophila arenaria), etc.
Mais il faut quitter ce lieu magnifique juste après le pique-nique car Bruno doit finir de rédiger la liste des plantes observées. Ensuite Jean-Charles, Joëlle et Chantal se rendent à Valognes pour faire imprimer le document.
Pendant ces trois journées, Bernadette a récolté des plantes pour les commentaires qui se feront en fin de journée à partir de jeudi. Joëlle a alimenté en photos les pages Facebook et Instagram de l’école des plantes, toute l’équipe a été très studieuse et très attentive aux plantes observées.
Tout est prêt à 17h30 pour accueillir les inscrits. Après une brève présentation du déroulement des trois journées de terrain à venir et une intervention de Murielle Delattre sur la bande dessinée dédiée à André Caudron, on partage le verre de l’amitié (couleur locale oblige avec du cidre normand !) après la lecture d’une fable composée et récitée par Jean-Joseph : l’églantier et le figuier.
Journée du 30 juin
RV 9h sur le parking devant l’hôtel Le Cap. Le soleil est présent mais le ciel est nuageux. Un premier arrêt sur la friche à côté de l’hôtel, le groupe se partage en deux sous la direction respective de Bruno et de Daniel avec la participation très active de Jean-Joseph. Les participants ont droit à des commentaires très détaillés sur la botanique (morphologie – systématique), la physiologie et l’écologie végétales. C’est l’occasion de commenter la grande ciguë, pourtant particulièrement si élégante ! Les prospections continuent le long de la route de la corniche mais très vite le ciel s’assombrit et nous ressentons d’abord quelques gouttes puis une pluie fine mais qui devient de plus en plus importante et cinglante. Dans un premier temps, nous bravons l’intempérie et nous continuons, très stoïques, les herborisations mais à mi-parcours il faut bien se résigner à redescendre et c’est complétement trempés que nous nous retrouvons à l’hôtel. Chacun part se changer puis nous nous installons dans la salle qui nous était réservée pour le soir. Après un pique-nique réconfortant, on passe aux choses sérieuses. Gérard expose un diaporama sur la géologie du Cotentin. Bernadette présente les commentaires phytothérapeutiques des plantes. Elle débute par la présentation de quelques plantes toxiques : clématite, digitale, séneçon jacobée, bryone, grande ciguë, fougère aigle, sceau de Salomon, et eupatoire chanvrine. Elle présente ensuite quelques plantes sédatives : lotier corniculé, houblon, coquelicot, ballote, valériane, millepertuis. Puis elle aborde les plantes circulatoires : fragon ou petit-houx, germandrée scorodoine, grande berce, armoise, aubépine, petite pervenche. Les exposés se terminent par une fable inédite composée par Jean-Joseph : la tomate et le physalis.
Le temps s’est apaisé et on décide de se rendre directement au cap avec les voitures (en cas de repli immédiat !). A peine sortis des voitures voici le ciel qui se rappelle à nos bons souvenirs et laisse tomber quelques gouttes, comme pour dire. On se dirige alors vers le phare pour s’abriter mais ce n’était qu’une fausse alerte ! Cela nous permet ainsi de croiser un gestionnaire du Symel (Syndicat Mixte des Espaces Littoraux de la Manche), qui nous aborde, intrigué par nos loupes de botanistes. La discussion s’engage et la célébrité de Bruno marche à fond, il est alors décidé de le retrouver sur les dunes d’Hatainville le lendemain afin de voir l’œillet de France, Dianthus gallicus, que Bruno cherchait quand nous avons prospecté le site mercredi matin. Nous herborisons ensuite sur la pelouse sommitale, descendons dans le petit bois pour revenir vers le cap. Fin de la première journée pour les participants.
Journée du 1er juillet
Journée consacrée au massif dunaire d’Hatainville.
Comme promis nous rencontrons le gestionnaire du Symel accompagné de deux stagiaires. Nous écoutons attentivement une explication détaillée sur ce massif dunaire classé depuis 1970. Nous réalisons que la gestion d’un tel site n’est pas aussi simple quand il faut tenir compte des intérêts et besoins des uns et des autres : écologues, éleveurs (longue tradition de pâturage extensif depuis les années 50), propriétaires. Nous réalisons également que la gestion d’un système dunaire n’est pas standardisée, que chaque système à sa propre gestion mais que la grande question qui se pose toujours : faut-il laisser la nature opérer son évolution naturelle ou faut-il faire en sorte de maintenir les habitats en bloquant l’évolution. Dans le cas des dunes d’Hatainville, la surface du site est telle qu’on peut tolérer des zones d’érosion, favorisant ainsi la restauration naturelle d’habitats (1/5 du site est embroussaillé). Une discussion passionnante s’installe entre gestionnaire et botanistes (Bruno, Daniel et Françoise Duhamel, spécialiste des végétations littorales). On nous emmène ensuite vers une petite mare où se développe la littorelle à une fleur, Littorella uniflora, petite plante vivace de 5-20 cm à souche courte végétant dans l’eau, à fleurs monoïques : les mâles solitaires sur un long pédoncule filiforme, les femelles par 1-3 sessiles au pied des pédoncules des fleurs mâles. C’est une plante des marais et des étangs d’une grande partie de la France à l’exception de la région méditerranéenne et de la Corse. Puis c’est la découverte au sommet d’une petite butte de ce fameux œillet de France, Dianthus galllicus. Cet œillet de couleur rose et particulièrement odorant est de répartition très restreinte depuis le Portugal, la côte nord-ouest de l’Espagne jusqu’au Cotentin. On ne le trouve nulle part ailleurs en dehors de cette étroite zone littorale, on parle d’espèce franco-espagnole atlantique. Notons que nos voisins anglo-saxons ont acclimaté cette espèce sur l’île de Jersey dès 1892 et là aussi le chauvinisme fonctionne puisqu’il est devenu « Jersey pink », œillet de Jersey !
Les herborisations de la dune grise se poursuivent jusqu’au moment du pique-nique. La journée Hatainville se terminera par une herborisation dans ce qu’on appelle « le haut de plage » ou zone de « laisses de mer » où se développent la roquette de mer, Cakile maritima, l’arroche des sables, Atriplex laciniata, la soude, Salsola kali. On retourne ensuite lentement vers le parking en traversant de nouveau la dune fixée après une petite halte pour illustrer le génie végétal de certaines plantes tels les talents de la laiche des sables, Carex arenaria qui « reprise » la dune blanche pour la stabiliser. Les tiges souterraines, assez minces, à croissance rapide, sont des rhizomes très développés qui peuvent s’étendre sur une longue distance (plusieurs mètres). Bien que les ramifications de ces rhizomes ne soient pas visibles, on peut les suivre littéralement à la trace, du fait de la présence de chapelets d’axes aériens feuillés qui les jalonnent sur toute la longueur. En se ramifiant, puis en se fragmentant, ces tiges particulières assurent une multiplication végétative active.
Retour à l’hôtel Le Cap et à 17h30 Bernadette présente les plantes actives sur le métabolisme (géranium Robert, myrtille, panicaut des dunes). Viennent ensuite les propriétés phytothérapeutiques des plantes adaptées au système digestif : camomille romaine, salicaire, centranthe rouge, achillée millefeuille, ronce, serpolet, petite centaurée, mauve, fenouil, aulne, chêne, brunelle, circée de Paris, benoîte, pulicaire, aigremoine. La séance phyto se termine avec quelques plantes respiratoires : bouillon blanc, diplotaxe, lierre grimpant. Jean-Joseph récite une dernière fable intitulée : la charcutière et le souci.
Journée du 2 juillet
Rendez-vous à 9h30 sur le parking de la forêt de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Le groupe de Daniel s’engage dans « le chemin de l’ancien chalet » et Bruno dans « le chemin du milieu ». Se mêlent commentaires floristiques et écologiques, et plus précisément sur le fonctionnement d’une forêt et la démonstration que nous sommes dans un système forestier oligotrophe (présence du houx, de la germandrée scorodoine, du chèvrefeuille, de la myrtille et l’absence du charme). Halte à la mare à Nymphea alba puis retour par l’arboretum.
Après le pique-nique, Bernadette fait un petit exposé sur les tanins puis présente les plantes actives en dermatologie : poivre d’eau, grand plantain, onagre, nombril de Vénus. Puis ce sont les plantes utilisées en rhumatologie : vergerette du Canada, prêle des champs, scrofulaire noueuse, reine des prés, ortie piquante et frêne. Les bruyères et l’épilobe, actives sur le système urinaire, terminent les commentaires phytothérapeutiques. Dommage que cette forêt recèle des tiques agressives !
Le groupe se rend ensuite sur le site du Mont de Besneville pour découvrir les landes et les plantes caractéristiques de ce milieu. La journée se termine par un dernier arrêt à Portbail pour compléter la présentation des végétations littorales avec la flore des prés salés.
C’est ensuite la dislocation de la session car certains regagnent directement les Hauts-de-France. Une session agréable, conviviale et enrichissante scientifiquement et humainement vient de prendre fin.